Vieux couple.. même combat ?
Dans la torpeur de la nuit, j’ébranle notre lit flétri de nos rêves meurtris en éternuant si fort que j’éprouve la sensation que mon cerveau est proche de me sortir par les yeux . J’imagine sa sanguinolente morve me servir de larmes. Tout ce temps passé à attendre entraîne derechef une déflagration abyssale dans la moiteur de l’inertie que m’offre cette décennie . J’ai vieilli et il n’y a pas que ma vue qui baisse.. l’intensité de mes rêves aussi . J’ai troqué l’abordable par le confortable . Prendre ce qu’il y avait à retirer de mes possibilités en me détournant de toutes mes potentialités. Choisir ce qui était doux plutôt que ce qui pourrait me gratter pour ne pas impliquer une énergie qui me rappellerait que je me suis assez débattue avec les poux dans ma vie .
Aujourd’hui je compte les heures, je lis, je contemple ..
J’oublie de plus en plus ce que je fus .
Les pages se sont tournées comme si elles avaient été au contact d’un ventilateur .. elles ont défilé en quelques secondes .. à peine le temps de m’en rendre compte que je me retrouve déjà à la fin du bouquin.
Est-ce un signe de vie de s’en rendre compte ? Ou un signe de mort ?
Aurais-je dû batailler plus et risquer ma vie au combat pour mourir avec plus de panache qu’aujourd’hui?
Mes mains témoignent en quelque sorte de ma petitesse.
Elles se figent sur les accoudoirs .
J’en suis là .. de peur de vieillir, j’attends que la mort me recueille . Je suis ici, coincée dans mon décor, à compter les années hypothétiques qu’il me reste sans prendre la mesure de mon inconsistance car je ne connais plus que la dimension de mon temps, celui qui me rapproche du trépas ..
Au fil du temps, j’ai exclu mes passions et même mes amis.
Comment trouver le courage de vivoter quand on a peur de se liquéfier?
Mes actions passées ont trouvé leur empreinte dans chacune de mes rides .
J’ai l’impression que si je remue trop, des crevasses vont craqueler ma peau .. m’engloutir de l’intérieur ... me pomper tout ce que j ai accumulé, protégé au cours de mon existence .
Car oui, j’ai vécu .
J’ai aimé passionnément , déconné, encaissé l’indicible, vu le pire chez les autres, côtoyé le meilleur aussi parfois…
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Où vont toutes nos valises mentales quand on meurt?
Et pourquoi n’osons-nous pas les déballer avant de mourir histoire de foutre le bordel une bonne fois?
Pourquoi la décrépitude ne devrait elle venir que de l’intérieur ?
Victor nous imagine une vieillesse heureuse, sans vague et sans reflet . Alors que moi, j’aime ce qui éblouit, ce qui brûle les yeux, les ondulations qui bouleversent la lumière en moins d’une seconde .
Je veux m’extirper du sable qui s’est accumulé au fil de nos mouvances , de nos enlisements aussi .
Victor est cartésien. Je suis irrationnelle . Je perdrai la tête avant lui car je n’ai jamais mis d’ordre dans mes méninges . La vie exulte à travers la musique, les livres..l’espace et les courants d’air sont essentiels même si le sable s’égraine comme le temps .
J’ai l’impression d’être devenue un sablier mouvant.. ⏳